Appel à communications

Au croisement des civilisations humaines et de la nature, le jardin est privé et public, ornemental et nourricier, modeste et monumental, rural et urbain. Ilest au centre symbolique de l’inscription de l’humanité dans la nature, (Pierre Grimal 1974, Hervé Brunon 2008, Gilles Clément 2012, Philippe Descola 2014) et de l’origine mythique des rapports sociaux. Parce qu’il est au cœur des évolutions des modes de production, il est révélateur des choix de société, des inégalités, des conditions de la survie, des aménagements de l’espace social, des services écologiques à toutes vies humaines ou non-humaines. Mais il est aussi lieu d’art et de repos, expression poétique et métaphysique tout en étant essentiel dans l’économie domestique et la vie familiale (Florent Quellier 2012, Collectif 2017, Philippe Pierson – Béatrice Cabedoce 1996). Il est proche et particulier mais aussi universel et culturel (Philippe Descola 2005).

Le colloque « Jardins de femmes » souhaite interroger la dimension de genre de ces perspectives diverses.

Car, si l’histoire des jardins a beaucoup documenté les formes paysagères (Alain Roger 1997, Michel Baridon 1998, Anne Cauquelin 2000, Hervé Brunon - Monique Mosser 2011), si les sciences de l’aménagement ont contribué à en décrire les pratiques et les implications (Kohler et alii 2015, Collectif 2003), si les sciences sociales ont fait place à des analyses de leurs dimensions économiques, conviviales ou conflictuelles, si les sciences de l’écologie ont pris une place de plus en plus importante dans l’étude des espaces de jardinage, si l’agronomie a analysé les apports de la ressource, en particulier alimentaire, présents dans ces espaces, la dimension genrée des jardins a largement été ignorée dans toutes ces considérations.

Le jardin est analysé dans toutes ses dimensions, comme si les différenciations sociales se diluaientdans une réalité qui les dépasse. Comme la ville, le travail, la propriété, il est perçu comme le produit d’une humanité globale (Sylvette Denèfle 2004). Pourtant, les particularités des différents jardins en sont l’essence et la marque des contingences temporelles et spatiales qui expriment les modèles civilisationnels dont on ne peut ignorer qu’ils sont porteurs de la différenciation universelle des rôles de sexe (Gaelle Gillot 2002). Cette différenciation peut être négative mais elle peut être aussi vectrice d’émancipation, créatrice d’espace public (Corinne Luxembourg - Camille Noûs 2021) et témoigner du soin porté à la ville par les femmes (Sophie Louargant - Alexia Barroche 2022).

Dans tout ce qui constituele jardin, la place des femmes est spécifique : femmes en charge des potagers dans les fermes tenues par des hommes, femmes investies dans les jardins partagés, femmes occupant les espaces publics dans les loisirs familiaux, femmes productrices ou destinataires des fleurs du jardin, femmes guérisseuses et sorcières, religieuses ou fautant au jardin d’Eden, femmes militantes de l’écologie quotidienne, et bien d’autres. Toutes ont dans le jardin une place qu’il importe d’étudier pour mesurer, sur cet indicateur universel qu’est le genre, les différenciations sexuées qui reflètent les images récurrentes des places féminines : modestes, humbles, invisibles dans leur dimension domestique, dangereuses dans leur dimension sexuée (Camille Koskas 2021), charitables dans leur dimension sociale…

Car le jardin, espace clos mais en lien avec le monde, est un lieu où les femmes peuvent exercer leurs pouvoirs ou vivre leurs soumissions, développer leur créativité ou subir les normes qui les contraignent. Il peut être un lieu de refuge, de reconquête de l’espace et contribuer à leur épanouissement. Il est aussi un lieu de travail où les corps s’impliquent, où se jouent des pratiques techniques et physiques. Dans les métiers des jardins, on retrouve les rapports qui régissent les mondes professionnels qui ne sont guère égalitaires entre femmes et hommes. Dans ses modes de production et par ses usages, se reflètent les rôles de sexe, aussi divers et généraux, qui régissent tous les mondes sociaux.

Le colloque « Jardins de femmes » souhaite mettre en lumière, à travers le jardin, les rôles des femmes, interroger l’histoire et éclairer avec elles des situations contemporaines qui relèvent aussi bien du domestique que du public, de l’intime que du politique.

Quatre axes de réflexion pourront guider les propositions de communication qui, cependant, restent largement ouverts au-delà. Tous les savoirs peuvent être mobilisés pour répondre, qu’ils soient académiques ou empiriques, qu’ils soient savants ou d’expérience, qu’ils soient artistiques ou techniques, etc.

Axe 1 Le jardin, expression des rôles féminins dans l’histoire des milieux

Un aspect essentiel des propositions doit s’attacher au jardin comme lieu, comme espace situé, réalité matérielle et biologique, et comme œuvre particulière des sociétés humaines dans laquelle se jouent, s’entretiennent, s’expérimentent, s’exposent et se transmettent les relations d’une culture et d’une époque singulières avec le vaste monde non humain. Cette considération peut amener à des communications qui analyseront la notion même de jardin à travers les diversités culturelles en regard des rôles féminins qui s’y expriment ou s’y sont exprimés, en Occident et ailleurs dans le monde (Léa Billen 2015, Marie-Jo Menozzi 2000): leur rapport à l’espace, au territoire, au paysage, au terrain, à la nature, à la maison, à la propriété (ou plus largement à la possession) ou à l’espace partagé, voire public, ou leur traduction dans les cultures où ces notions n’existent pas.

L’enceinte du jardin marque-t-elle des limites, des frontières entre le monde humain et la nature, entre le sauvage et le domestique, entre le privé et le public ou organise-t-elle des liens entre des mondes ? Et comment les activités jardinières féminines suivent-elles les contours, s’enchâssent-t-elles ou déterminent-elles ces répartitions spatiales et relationnelles ?

Des réflexions sur toutes ces notions sont donc recevables si elles permettent de penser la place du jardin dans la différenciation sexuée : enfermer, diminuer les femmes ou leur donner des responsabilités et un pouvoir typiquement féminin, connaître les plantes pour les soins ou pour la sorcellerie, nourrir la famille ou vendre ses productions, être maîtresse d’un coin de terre ou reléguée à un lieu secondaire, etc ?

Axe 2 Pratiques et ambiances, la vie dans les jardins de femmes

L’observation, l’expérience, les pratiques du jardin, ici et ailleurs, dans un passé plus ou moins lointain ou maintenant, présentent-elles des façons d’être, de jardiner, d’utiliser les lieux qui distinguent femmes et hommes ? Les femmes cueilleuses des sociétés nomades ont-elles fondé la sédentarité néolithique ou n’y-a-t-il là qu’un biais épistémologique de l’archéologie (Anne Augereau, 2021) ? La société occidentale, profondément inégalitaire, a-t-elle relégué les femmes aux tâches domestiques du jardinage, à la production alimentaire familiale ou leur a-t-elle ouvert un espace d’autonomie et de responsabilité, comme on peut le voir sur les îles bretonnes ? L’amour courtois a-t-il enclos la dame dans un jardin de rêve ou l’a-t-il entourée d’un mur infranchissable (Collectif 1990) ? L’Orient a-t-il donné aux femmes des places, voire des rôles spécifiques dans le jardin (Gaelle Gillot 2006) ? Le repos hebdomadaire a-t-il donné aux hommes la responsabilité du jardin familial ou a-t-il permis au couple un accès à des loisirs communs (Elisabeth Pasquier 2001, Jean-Noël Consales 2018 ) ? Les jardins partagés sont-ils dans la solidarité et le soin des autres, une source de responsabilités féminines, lieu d’empowerment ou ne sont-ils qu’un moment de loisirs éphémères et sans importance ? L’écologie parle-t-elle aux valeurs sociales féminines du respect et du soin des autres plus qu’aux techniques salvatrices du progrès ? Les autres que l’on considère ne sont-ils qu’humains ou y-a-t-il un regard spécifique sur les autres espèces ? Si les places des femmes sont moins invisibilisées dans l’espace social récent, le jardin nous en montre-t-il les réalités ?

Sur ces questions vastes de l’histoire des jardins, qui côtoie celle de la vie des êtres humains dans la nature, que nous disent les études précises, les exemples, les œuvres d’art, la littérature, les sciences sociales ? On attend des communications sur ces aspects et bien d’autres qui devront s’appuyer sur des terrains livresques ou des expériences matérielles, sur l’art ou sur la botanique, sur la pratique des végétaux ou sur celle des convivialités, etc…

Axe 3 Le travail du jardin, le corps en actes

Les mythologies entretiennent une certaine connivence entre les cycles du corps féminin et ceux du règne végétal, tous deux rythmant des phénomènes biologiques physiquement manifestes, signes de fertilité et promesses de descendance ou d’abondance, de continuité de la vie. En ce qui concerne les femmes (et peut-être aussi en ce qui concerne les plantes), leur réduction à ces réalités corporelles sert souvent à masquer leurs désirs et surtout leurs capacités d’action. Comme si leurs corps étaient voués à subir et à être traversés, plutôt qu’à agir sur ce qui les entoure.

Mais, si le jardin ne peut être pensé sans le jardinage et le travail de la terre qu’il implique, cela met le corps à l’épreuve et nécessite parfois le maniement d’outils lourds et tranchants. L’imagerie nous montre les femmes jardinières et aussi l’alliance du luxe et des floraisons (Martine Bergues 2011). Comment dérouler ces imaginaires, comment les lire ? Quelles symboliques sont en œuvre et pour quels rapports au corps des femmes ? La préciosité des femmes et des fleurs est mise à mal par la préparation de la terre, les plantations, les récoltes, dur labeur qui peut être délégué mais aussi permettre au corps trop urbanisé de renouer avec la vie naturelle. Les pratiques jardinières convoquent également la mémoire, l’histoire et les trajectoires familiales, les gestes, les goûts et les saveurs de l’enfance (Anne Dufour – Catherine Dupin 2009).

Axe 4 Le jardin pour résister

Le colloque souhaite que soient abordées les questions politiques et idéologiques qui sous-tendent les prises de position sociale sur la place des jardins, dans l’aménagement, dans la ville (Marie-Jo Menozzi 2014), dans les luttes pour la défense de la biodiversité, dans les démarches d’opposition ou de soutien aux réalisations porteuses de croissance ou soucieuses de prudence environnementale, pour autant que le jardin y trouve sa place et que des femmes en soient les actrices. Les théories réactualisées de l’écoféminisme (Emilie Hache 2011) peuvent éclairer la problématique du colloque pour autant qu’elles portent sur la question des jardins.

Alors que les femmes sont assignées, dans la plupart des sociétés, au soin de la famille et au travail domestique qui lui est conjoint, leur éducation les prépare à des compétences qui potentiellement induisent certains rapports aux choses et aux autres. Des savoir-être qui peuvent se traduire au jardin comme en politique, en une conception de l’ordre du monde et de l’organisation des rapports sociaux différant radicalement des codes masculins dominants. Suivant cette hypothèse, la longue assignation des femmes « à la maison » cultiverait-elle à bas-bruits les ingrédients d’une révolution culturelle qui pourrait s’avérer salvatrice à l’heure où les bouleversements écologiques nous obligent à transformer profondément nos modes de vie (Geneviève Pruvost 2021) ? Dans les politiques publiques actuelles, la reconnaissance du rôle du végétal dans le renouvellement de la vie urbaine coïncide-t-elle avec les évolutions récentes de la place des femmes dans la vie publique ? S’il existe des jardins de femmes, sont-ils des vecteurs particulièrement pertinents des changements de paradigmes contemporains ? Et si c’est le cas, où et comment concrètement cela se passe-t-il : en ville, dans les banlieues périurbaines ou les campagnes isolées (Flaminia Paddeu 2021) ? Quelles institutions soutiennent-elles la création ou la pérennité de ces lieux, quels groupes sociaux, etc. ?

A l’inverse, l’émancipation jardinière escomptée ne serait-elle qu’une illusion et la simple répétition d’un cantonnement des femmes (souvent entourées des enfants) à la place des tâches du care toujours considérées soit comme subalternes, certes essentielles à la survie de l’espèce, mais éloignée des projets plus éclairés qui distinguent l’humanité du reste des vivants ? Dans ce cas, quels sont les moyens de sortir de cette ornière ?

D’autres problématiques peuvent être envisagées et seront considérées avec attention. Toutes les propositions peuvent s’inscrire dans des dimensions qui vont du local au global, de l’individue au territoire, de l’humain à la vie d’autres espèces. Les propositions relatant des expériences ou relevant de problématiques empiriques, provenant du monde académique ou des associations ou institutions seront examinées avec intérêt. Une attention particulière concernera les travaux de jeunes chercheures ou jardinières.

Le texte de la proposition fera, au maximum 2500 signes, espaces compris et devra être déposé avant le 21 novembre 2022 sur le site : https://jardinsdefemmes.sciencesconf.org

L'espace de dépôt est désormais ouvert. Pour soumettre une proposition, il est nécessaire de passer par un compte SciencesConf. Pour en créer un, cliquez sur la flèche associée à "Connexion" en haut et à droite de l'interface du site puis sur « Créer un compte ».

L’évaluation des propositions sera communiquée aux intervenants en janvier 2023 et le texte de la communication (texte, powerpoint, poster, capsule vidéo…) ainsi que les images devront être remis pour le 30 avril 2023 au plus tard.

Aucun frais de déplacement ou d’hébergement ne pourra être pris en charge par l’organisation du colloque mais aucun frais d’inscription ne sera demandé et les manifestations, les visites et les publications du colloque seront disponibles pour tous les communicants.

Références bibliographiques

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